6 août 2012

JO : aliénation de routine, sexisme et grands nettoyages

Panem et circenses
Juvénal

Le sport amuse les masses, leur bouffe l'esprit et les abêtit. 
Thomas Bernhard. 

Les Jeux du cirque Olympiques ne m'intéressent pas, vous vous en doutez bien. Rien que sport lui-même, je veux dire. L'esprit de compétition ne fait pas tellement partie de mes passions et de ma vision d'une société idéale. Je vois le sport comme un formidable moyen d'aliénation des masses, du moins dans une société capitaliste comme la nôtre. L'esprit de compétition lui-même est l'une des bases du système économique actuel. Dans une société entièrement autogestionnaire, cela pourrait peut-être devenir un loisir comme un autre, mais pour l'instant, au vu des supporters de foot, ça paraît difficilement envisageable.

Je ne trouve pas l'idée de montrer qui a la plus grosse sous prétexte d'"esprit olympique" spécialement enthousiasmante. Comme je ne trouve pas utile, en musique, dans les Conservatoires, de jouer du piano dans le seul but de passer des concours. 
Dans ces deux milieux (non pas ceux de la musique et du sport eux-mêmes, mais ceux du stade et des Conservatoires), la discipline pratiquée n'est plus un moyen d'expression ou quelque chose que l'on fait pour le pur plaisir (même si on peut éventuellement gagner sa croûte avec), mais un moyen de répondre à un culte de la performance de la part du public — et des professeurs.

Tiens, d'ailleurs, le culte du sport était extrêmement présent sous Staline. Le dopage actuel n'a pas fait beaucoup de progrès depuis, parait-il…

“Pratiqué avec sérieux, le sport n'a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, de plaisir sadique et de violence ; en d'autres mots, c'est la guerre, les fusils en moins.”  (George Orwell)
Mais en plus d'être des outils essentiels de la sociétéspectaculairemarchande, les Jeux Olympiques, comme les Coupes du Monde et autres évènements sportifs de grande envergure, s'accompagnent toujours, et ce dès le moment où un pays pose sa candidature, d'opérations de grand nettoyage, à plusieurs niveaux.

D'abord, nettoyer le pays des immigrés et des pauvres. C'est sale. Et puis, voyez-vous, ces gens sont ceux à qui l'Etat n'a pas donné l'occasion de mener une vie correcte qui n'ont pas réussi. Ça fait tâche, dans cette belle ambiance de winnitude.

Soit dit en passant, c'est également contraire à l'idée de la société que se faisait ce vieux raciste colonialiste de Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux modernes et dont Lapâtriiie doit s'enorgueillir.
« Il y a deux races distinctes, disait-il dans L’Éducation Anglaise : celles au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l'air vaincu. Eh bien, c'est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n'est appréciable qu'aux forts. »
Ça se passe de commentaires.

On fait donc comprendre aux immigrés (je veux dire plus que d'ordinaire) qu'ils font tâche, et pas seulement en Angleterre. A Calais, aussi. Parce que c'est emprunté par les touristes pour passer outre-Manche. Résultat (article en anglais) : la PAF (police des frontières) rôde, vient réveiller les gens aux aurores pour leur demander leur nationalité, et les immigrés sont surveillés en permanence grâce à sept unités de CRS dans la ville. La gendarmerie a installé un camp en bordure de Calais, et en tout, ça fait environ 800 flics…

Et puis les femmes de ménage employées dans le village olympique. Elles sont dix par chambre, dans des mobile-homes qu'elles doivent payer, et vingt-cinq pour un cabinet de toilettes. Rassemblées "dans un vaste enclos dans l’est de Londres, à l’abri des regards".
Pourtant, ces femmes de ménage sont Utiles. Elles Contribuent à la bonne marche de l'évènement, et ils seraient bien emmerdés si elles n'étaient pas là. Mais elles restent des pauvres. Les pauvres doivent payer le fait d'être pauvres, et on doit les cacher au regard des athlètes et du public, qui viennent quand même là pour voir du sport et des paillettes sponsorisées par Coca-Cola, pas la réalité sociale.
  
Moi qui étais persuadée que le gouvernement britannique savait faire la différence entre une œuvre d'art et une crotte de chien, je suis amèrement déçue. Les street artists ne sont pas les bienvenus. Et pourtant, Londres est extrêmement réputée pour sa scène street art foisonnante, avec évidemment Banksy, mais aussi des américains comme David Walker, Swoon ou encore l'étonnant berlinois Boxi, et des tas d'autres — ils se comptent par centaines. 
 
Seulement, le street art, vous comprenez, c'est sub-ver-sif. Ça dérange, d'une manière ou d'une autre. Banksy, par exemple, fait des œuvres de toute évidence engagées (et les œuvres qui ont été prioritairement éliminées sont celles qui dénonçaient ouvertement l'organisation des Jeux). Mais le street art est en lui-même une subversion, puisqu'il s'agit de s'approprier l'espace urbain, qui, d'ordinaire, sert à parquer les gens issus de classes sociales distinctes dans des quartiers distincts, permet de maintenir l'ordre, de limiter, d'enfermer. 

Forcément, les autorités n'apprécient pas. Alors on colle des amendes, on sort les kärchers et on nettoie, on efface vite ces fresques contestataires — ces salopards d'artistes, ces poètes d'apparence anarchiste, ils ne nous laisseront donc jamais dormir.

Finalement, ça veut dire qu'on peut encore déranger les dictatures gouvernements par le simple pouvoir de l'art. C'est peut-être le bon côté de la chose.

Mais de toute façon, rien de politique, le Gwenn-Ha-Du (le drapeau breton) a été interdit. Je suppose qu'il était inutile de venir, rien que pour le fun, avec un drapeau noir. (De toute façon, les drapeaux, bon…). 

Pierre de Coubertin trouvait absolument absurde l'idée que les JO soient ouverts aux femmes : "Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l'adulte mâle individuel. Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs". 
Mais vu ce que subissent les sportives aujourd'hui, il doit pouvoir se consoler, d'où il est.

Vous avez sans doute remarqué au hasard des blogs un ou deux coups de gueule sur le beach volley féminin, notamment. Vous savez, ce sport où, par un curieux hasard, toutes les filles sont en bikini — elles sont ayssi en jupette au tennis et idem pour le football américain (si, si). Une recherche d'images "beach volley féminin" est assez révélatrice. Le sport, fait par des hommes, pour les hommes. 
 
 C'est convenu : vous ne regardez pas du sport féminin, mais du porno, spécialement conçu pour que les téléspectateurs puissent bander en regardant le match. Et qu'on n'aille pas me dire que c'est pour valoriser le fait que « les sportives aussi peuvent êtres "féminines" ». Les sportives sont tout simplement traitées en tant qu'objets sexuels. Filmer tous les sports de la même manière serait assez étrange, cet amusant article en témoigne.

Dans la même veine, différents magazines ont entrepris des classements de sportives les plus sexy, par exemple l'Express, ou encore Menly, qui dirait sans doute pour sa défense que "not' slogan c'est for men only alors les femmes vouzaviezkàpasialler". Non mais c'est vrai ça, si on peut plus faire de misogynie tranquilles entre mecs.


Le CIO contrôle le genre des athlètes. Leur critère, c'est la testostérone, mais c'est très flou. A partir de quand notre corps contient suffisamment de cette putain d'hormone pour concourir avec les mâââles ? Ils ne le spécifient pas. Le spécialiss en génétique interrogé dit qu"il faut bien tracer une limite quelque part". Pour quoi faire ? C'est vraiment nécessaire ? Ou c'est juste pour contrôler le corps et le genre des sportives ? Les « féminiser » ? Il faut qu'on reconnaisse que c'est des femmes, hein, sinon on est paumés, si elles ont pas de fesses et de seins, mais où va le monde, on pourra même plus fantasmer devant le spectacle…

Enfin, un mot sur la copyright-madness qui s'est emparée de l'organisation des Jeux. Calimaq a bien sûr écrit un excellent article sur le sujet
Les sponsors font leur loi et ont à leur service, grâce au CIO, des casquettes violettes qui patrouillent dans les rues de Londres à la recherche des infractions à l'Olympic Brand Policy. Les amendes sont élevées, et ils peuvent vous poursuivre même si vous reprenez un logo dans un but non-commercial. 
L’Olympics Game Act met en place une véritable police du langage, qui va peser de tout son poids sur la liberté d’expression pendant la durée des jeux. Il est par exemple interdit d’employer dans une même phrase deux des mots “jeux”, “2012″, Twenty Twelve”, “gold”, “bronze” ou “medal”. Pas question également d’utiliser, modifier, détourner, connoter ou créer un néologisme à partir des termes appartenant au champ lexical des Jeux. Plusieurs commerces comme l’Olympic Kebab, l’Olymic Bar ou le London Olympus Hotel ont été sommés de changer de noms sous peine d’amendes.
Ah, et le truc drôle aussi, c'est quand on arrive à des cas de censure pure et simple. En gros, on n'a le droit de parler des JO qu'en bien (en gros). Pas de lien vers le site web des Jeux si c'est pour les insulter, dispersion des manifestations, etc.
(C'est bizarre, je pense à Pékin. Pourtant, je devrais savoir que ces décisions sont prises pour le bien de tous et pour le maintien de l'ordre dans la société qui me nourrit).
Toutes ces mesures sont bien évidemment accompagnées d'une utilisation à outrance des techniques de surveillance.

« L'esprit des Jeux est pervertiiii », se lamentent certains, qui pensaient encore que le sport était affaire de belles valeurs. Comme si c'était nouveau. Comme si ce n'était pas inhérent au spectacle.   
Les Jeux Olympiques. Un si bel esprit de démocratie et de liberté.
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Quelques liens complémentaires : 
L'horreur économique des Jeux Olympiques
Jeux Olympiques : la médaille d'or du capitalisme (Blog du groupe de la FA de Béthune) &
Jeux Olympiques de Londres : Austérité et répression (Indymedia Lille) 
Des Jeux Olympiques mémorables »… avec le soutien de nos partenaires. Indispensable article de Pierre Deruelle
Les critiques des Jeux Olympiques sont très peu audibles
Dispersez-moi ces pauvres qui risquent de gâcher la fête article du Guardian traduit par Courrier International.

3 commentaires:

  1. Merci pour les liens nombreux, je n'avais pas entendu parler du coup des graffeurs, ni des femmes de ménage.

    Les JO me paraissent effectivement être devenus une grosse blague, ou plutôt une hypocrisie énorme vis-à-vis des valeurs qu'ils prétendent défendre. Londres n'avait visiblement pas énormément de choses à envier à Pékin du point de vue de la censure régnant autour du sujet, du copyright madness, des conditions de travail de certains, de la volonté de faire « propre ». C'est clair que la volonté d'éliminer toute trace de contestation autour de l'événement pour s'assurer que le symbole ait l'air tout beau, tout lisse, est assez effrayante, surtout quand on voit les méthodes employées (arrestation des graffeurs par exemple).

    Quand on regarde de près, les JO sont (dernièrement ?) devenus finalement tout l'opposé de ce qu'on prétend encore défendre en Occident, la démocratie. Avec pourtant en façade les belles valeurs du sport... Mais sur le fond, quasiment uniquement les lois économiques qui règnent. Dommage. D'ailleurs, certains athlètes ont nargué un peu les restrictions dues aux accords d'exclusivité, en portant des casques audio de certaines marques ou en se faisant tatouer d'autres noms de marques (mais certes, souvent par appât du gain ici aussi).

    Pour autant, je ne crois pas que le sport en compétition soit de façon générale une mauvaise chose, pas plus qu'elle ne soit « capitaliste » par essence : l'esprit de compétition existait avant le capitalisme et existera après. Dans le respect de l'esprit sportif, cela permet de se dépasser soi-même, de tenter de faire mieux que l'adversaire... tout en le respectant lui et le ou les arbitres. La compétition, la concurrence, sont naturellement inhérentes à l'humain, dans une proportion variable selon les individus, et peuvent aussi faire progresser la société lorsqu'utilisées à bon escient (je pense au logiciel libre, par exemple).

    Le problème c'est peut-être plutôt de vouloir à tout prix monétiser le spectacle, finalement. :)

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  2. Il y avait un article intéressant à ce sujet dans un Monde Libertaire (http://is.gd/KfCtul) Le judoka interviewé disait : "Tout est dans la conception que l’on a de la compétition. L’idéologie dominante conçoit la compétition comme une simple hiérarchisation d’individus. Les premiers méritent les honneurs, les derniers méritent le mépris. C’est, à peu de chose près, l’essence même du libéralisme économique. Cette conception de la compétition est invivable pour moi. J’ai choisi de la concevoir d’une manière différente. Lors de la confrontation, je ne suis pas motivé par le fait de battre mon adversaire ou de l’écraser en lui montrant qui est le plus fort, mais par ma propre progression."

    Effectivement, d'une certaine manière, c'est ce que le capitalisme en fait qui dénature le sport. Et sans doute que la plupart des athlètes sont dans le cas de ce judoka, et conçoivent leur discipline autrement. Mais toutes les "structures d'oppression" développées autour biaisent le regard, et mettent le public dans cette ambiance de compétition au sens capitaliste du terme,

    Ceux qui disent que que l'esprit ds Jeux est perverti m'énervent parce que ça a toujours été comme ça… Ce ne sont pas les Jeux qui sont pervertis, mais le divertissement lui-même, de quelque nature qu'il soit. La monétisation du spectacle, comme tu dis.

    Quand je dis que c'est inhérent au spectacle, je m'interroge aussi sur le côté spectacle de masse. Ce n'est pas le sport lui-même qui me dérange, et je peux, en y réfléchissant bien, admettre que la compétition n'est pas en soi un moyen d'oppression. Mais l'ambiance messe géante, ça me fait bizarre.
    Dans ces masses qui viennent se divertir, consommer et jouer le jeu des sponsors, je ne vois que des gens aliénés. J'ai l'impression que la foule étouffe les singularités, les imaginations.

    Pour changer l'hypocrisie des JO, faudrait changer la société en même temps… 

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